« Plutôt que d’utiliser une technologie qui a fait ses preuves, faire une alliance avec le privé pour créer un service gratuit, Québec s’entête à développer des guichets qui donnent un rendement inférieur », affirme notre collaborateur.
Paul Arcand Collaboration spéciale
La Presse, le 16 novembre 2024
Francis a mal à un poignet depuis quelques jours. La douleur est vive et l’empêche de dormir. Il téléphone à son médecin de famille pour obtenir une consultation. Malheureusement, aucune plage de rendez-vous n’est disponible avant un mois. Sa sœur, qui a un abonnement familial payant à Bonjour Santé, l’intègre à son forfait. Très rapidement, il reçoit un courriel l’informant que son médecin, dont l’horaire était pourtant plein, peut le voir dès le lendemain.
Comment expliquer ce petit « miracle » ? Bonjour Santé a accès aux plages de rendez-vous des médecins. Il offre un service de base gratuit et un autre payant qui permet une recherche plus large pour que le patient décroche un rendez-vous. Bonjour Santé existe parce que le gouvernement est incapable de créer des outils efficaces. Plutôt que d’utiliser une technologie qui a fait ses preuves, faire une alliance avec le privé pour créer un service gratuit, Québec s’entête à développer des guichets qui donnent un rendement inférieur.
Nous sommes en plein débat sur la place du privé dans le système de santé. Le ministre Christian Dubé veut forcer les jeunes médecins à s’enrôler dans le service public pour leurs premières années de pratique. Les syndicats disent que le privé est une béquille dont il faut se débarrasser. La « médecine pour les riches » se fait sur le dos des patients qui attendent pour une intervention chirurgicale ou qui n’ont pas de médecin.
Pendant que l’on discute des grands principes, de plus en plus de médecins vont dans des cliniques privées et les patients suivent en acceptant de payer.
Pourquoi ?
Vous pensez tout de suite au médecin qui carbure au fric, qui aime mieux refaire des seins, qui pense à sa qualité de vie et qui ne veut pas faire de tâches dans les hôpitaux et les CHSLD. Il y en a plusieurs. Mais la réalité est plus complexe.
La Dre Marie-Ève Fortin est médecin de famille à Lévis : « J’aurais voulu travailler au public. Mais l’accès à des postes est difficile. Le programme de répartition des effectifs médicaux (le PREM) limite le nombre de postes par région, par sous-région et même par activité médicale. J’ai un conjoint, des enfants, je ne pouvais pas déménager ou me taper trois heures de route aller-retour pour aller travailler à Thetford Mines. Si je refuse, on réduit de 30 % ma rémunération. »
C’est bien beau de pousser les médecins vers les régions, mais la lourdeur bureaucratique les fait glisser vers le privé.
Il y a aussi quelque chose de plus profond. Le concept de « un bobo par rendez-vous », qui en principe n’existe pas, mais qui est une pratique courante, ne cadre pas avec la vision de la médecine de bien des praticiens.
La Dre Marie-Lou Sauvé est omnipraticienne et se spécialise en santé mentale : « Dans bien des cas, mes patients viennent une fois par année avec une longue liste. Je passe une heure avec eux et je réponds à toutes leurs questions. Impossible de faire ça au public. Le système favorise des petits rendez-vous de 15 minutes et tu revois ton patient dix fois par année. Je ne pourrais jamais travailler comme ça. »
« Mes patients sont de la classe moyenne. Ils ont fait des choix. Ils ont décidé de se faire un budget annuel parce que la santé, c’est important pour eux. Ils viennent me voir parce qu’ils ont des problèmes chroniques et parce que c’est compliqué d’avoir un rendez-vous. Ils se disent : si j’en ai un, est-ce qu’on va me balayer après cinq minutes ? », dit la Dre Émie Gervais, médecin de famille au privé à Montréal.
La Dre Gervais a offert ses services durant la pandémie. Le Mammouth a répondu qu’elle devait d’abord renoncer à sa pratique au privé. Ce sont les règles, ce sont les procédures. On jetait ses choux gras alors qu’on formait en catastrophe du personnel pour éteindre les feux.
Dans plusieurs pays, le privé est un allié du système public. Ici, c’est l’ennemi. On refuse d’admettre que l’innovation et l’efficacité passent par des entrepreneurs.
L’État préfère installer des murs pour bloquer des initiatives positives pour les patients parce qu’elles ont été développées à l’extérieur de la Machine. Ça revient à dire que si on ne peut pas vous donner le service, on va s’arranger pour que vous ne puissiez pas le trouver ailleurs.
Le Québec dépense 60 milliards en santé pour soigner une population vieillissante avec des problèmes complexes et des traitements qui coûtent de plus en plus cher. Le budget gonfle au même rythme que l’attente pour les patients. Des chirurgiens se tournent les pouces, des médecins désabusés partent à la retraite plus vite et la relève, au public comme au privé, n’a pas envie de travailler 70 heures par semaine. Entre-temps, la PDG de Santé Québec, Geneviève Biron, doit économiser 1 milliard sans toucher aux services. Vraiment ? C’est toujours la même chanson qui sonne faux.
Les Québécois ne sont pas fous. Selon un sondage Léger, 70 % des répondants disent que le privé est plus efficace que le public. Pas moins de 84 % accepteraient d’être soignés en dehors du réseau public si le gouvernement ramassait la facture. Le message mérite d’être entendu.